Dom Gerle (Christophe Antoine) né le 25 octobre 1736 à Riom, prieur de la florissante Chartreuse de Vauclair en Périgord fit la connaissance en 1777, de Clotilde-Suzanne Courcelles de Labrousse dite Suzette Labrousse, villageoise de Vauxain –en-Périgord , près de Riberac née en 1746/47, qui fut un temps religieuse.
Or, un jour, celle –ci ,alors que la situation se tendait en France, commença à prophétiser des événements étonnants (réunis ultérieurement en dix-huit gros cahiers). Ainsi furent annoncés la régénération de la France (notamment l’avènement des Etats généraux), la réforme de la Chrétienté, la purification de l’Eglise et l’annonce qu’elle a reçu mission de Dieu de fonder deux congrégations masculine et féminine qui, par leur régime d’austérité, seront les signes vivants de la grande pénitence de l’humanité ; déclare enfin qu’elle doit aller s’entretenir de sa mission à Rome avec le Pape et les Cardinaux.
Prophéties et visions plus banales qu’il n’y paraît, si l’on songe d’une part aux imprécations visionnaires de Benoît Joseph Labre à la même époque, d’autre part aux courants apocalyptiques qui pressentent la révolution française en Europe et aux Etats unis et à la vague de mysticisme et d’occultisme qui atteint les élites européennes encore plus que les masses en cette fin de siècle des lumières.
Ayant fait connaître Suzette Labrousse à quelques puissants personnages liès à la Franc-maçonnerie et à l’occultisme, il y gagne en notoriété et finit par être élu suppléant du Clergé aux Etats généraux pour la Sénéchaussée de Riom malgré l’opposition de l’évêque de Clermont. Le titulaire ayant démissionné, il prend séance aux Etats généraux le 11 décembre 1789… comme l’avait d’ailleurs prévu Suzette Labrousse !
Pressentant le rôle de faiseur d’opinion qu’il allait jouer David avait représenté Dom Gerle – qui n’y siégeait pourtant pas encore le 20 juin 1789 – « sur sa toile du serment du jeu de Paume au premier plan, dans le froc blanc des Chartreux » … Le 12 avril 1790, il dépose en vain une motion tendant à faire déclarer que la religion catholique apostolique et romaine est et demeurera toujours la religion de la nation et que son culte sera le seul culte public autorisé. Ainsi aurait été opérée une symbiose de la religion romaine avec le nouvel état politique de la France, c’est-à-dire dans l’accomplissement des prophéties de Suzette Labrousse. Il en est si convaincu qu’il entretient ses collègues de l’assemblée des grâces extraordinaires de sa protégée et, dans un étonnant discours du 13 juin, il conclut que la Constitution civile du clergé est vraiment l’œuvre de Dieu puisqu’une pauvre fille l’avait prophétisée onze ans auparavant.
A l’invitation de La Fayette, Suzette Labrousse vient à Paris et est présentée à Louise-Marie-Thérèse Bathilde d’Orléans, duchesse de Bourbon- sœur de Philippe –Egalité – mère du duc d’Enghien et future « citoyenne vérité » qui en fait l’ornement de son salon occultiste.
Dom Gerle avait trouvé un nouvel appui en la personne de Pierre Pontard, futur évêque constitutionnel de la Dordogne qui fonda en l’honneur de la prophétesse, et aux frais de la duchesse de Bourbon, son surréaliste journal prophétique en janvier 1792. Le 19 février, un comité de sept évêques constitutionnels décide d’envoyer Suzette Labrousse à Rome pour convaincre le pape de l’origine divine de la Constituions civile du Clergé et accessoirement, d’abdiquer. Déclarée folle par les cardinaux romains, elle sera condamnée à la réclusion perpétuelle et enfermée au Château Saint-Ange d’où les troupes françaises la délivreront le 11 février 1798 (prise de Rome). Elle mourra en 1821.
De son côté, Dom Gerle n’avait pas perdu son temps ayant découvert une nouvelle prophétesse, de condition beaucoup plus modeste, sachant lire mais non écrire , née en 1716, Catherine Théot, grande, sèche, presque diaphane, vivant dans un galetas de la rue Contrescarpe pompeusement baptisé « Temple » et y prêchant la venue d’un messie régénérant le monde par la Révolution. .
A celle-ci , Dieu aurait révélé ‘qu’elle était la Vierge qui recevrait le petit Jésus qui viendrait du Ciel en la terre, apporté par un ange pour mettre la paix sur la terre et recevoir toutes les nations’. Tout cela finit par attirer l’attention des espions du Comité de sûreté générale un peu surpris, quand même, de trouver dans les papiers personnels de Dom Gerle une attestation que lui avait délivré Robespierre de façon à lui permettre de se faire délivrer un certificat de civisme.
Le conventionnel Vadier, aimablement surnommé ‘ le Grand inquisiteur’ allait, en pleine période de déchristianisation révolutionnaire,s’appuyant sur de fausses preuves, retourner les relations du Mystique Gerle avec le déiste Robespierre le 8 thermidor.
Robespierre à qui la « Mére de Dieu » avait peut-être inspiré son culte de l’Être suprême allait disparaître dans la tourmente du 9 thermidor an II et Catherine Théot mourir en prison le 1er septembre 1794. Quant à Dom Gerle, il leur survécut et mourut le 17 septembre 1801 sans avoir jamais revu sa Chartreuse du Périgord… et peut- être la regretta-t-il elle et les heureux temps de certitude christique qu’il y vécut ?
Origine.
Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastique sous la direction de R. Aubert . Letouzey et aîné Tome vingtième . 1984
B. Plongeron. V° Gerle (Antoine-Christophe) p. 887.